Jeudi 12 janvier 2017, au Benhuyc

 

Invité : Yahia Belaskri

 

 

 

C’est par un soir de tempête hivernale, et malgré un TGV bloqué en gare de Lamballe, que Yahia Belaskri nous a rejoints dans les salons du Benhuyc pour une rencontre passionnante. Ni la pluie, ni le vent violent, ni les aléas du voyage n’ont entamé sa bonne humeur, et sa personnalité rayonnante nous a réchauffés tout au long  de la soirée.

 

Soirée qui a commencé par une lecture de poèmes écrits par l’Émir Abd El-Kader, lus en arabe, puis en traduction française. Le ton était donné.

Une très large place a été faite à la figure de l’Emir Abd El-Kader, qui est le sujet du dernier essai de Yahia Belaskri :

Abd El-Kader, le combat et la tolérance. Éditions Magellan & Cie, 2016

Par une de ces incroyables aberrations de l’Histoire, il se trouve que l’Algérie est un pays sans archives, ottomanes et françaises car emportées par les militaires. Depuis une douzaine d’années, Yahia va chaque mois effectuer des recherches dans les archives de l’armée française qui sont à disposition du public à Vincennes et à Aix-en-Provence.

Il y a consulté beaucoup de documents, et en a retiré le désir de mieux faire connaître cette personnalité hors du commun qu’est celle d’Abd El-Kader.

En effet, cet homme qui proclamait : Tout être est mon être, qui a vécu une vie de voyages et d’études, qui ne faisait aucune différence entre musulmans, juifs, chrétiens, mazdéens dans leur élévation vers Dieu, et qui souhaitait plus que tout remettre l’humain au centre, a de quoi nous inspirer dans les temps troubles que nous vivons.

Il s’agit d’opposer une figure musulmane lumineuse à cette forme d’islamisme haineux qui occupe aujourd’hui bruyamment le devant de la scène. Cet homme-là nous dit que quelque chose d’autre est possible. Issu de la voie soufie, branche mystique de l’Islam dont les adeptes ont été persécutés et massacrés tout au long des siècles, il nous parle de fraternité, d’humanisme, de tolérance. Il faut se rappeler que c’est lui qui, avec ses étudiants, a fait traduire Ibn Arabi et que c’est grâce à lui que cet immense poète nous est accessible aujourd’hui.

 

Je ne vais pas plus avant détailler les actes et actions de cet homme extraordinaire car vous trouverez dans l’essai de Yahia le récit passionnant de ses années de formation, puis de ses combats contre l’envahisseur colonisateur français, les exemples de bravoure, ses triomphes et ses échecs, sa captivité en France et son retour triomphal en terre d’Islam, de quelle façon il a sauvé du massacre des milliers de chrétiens, trouvant simplement normal de se comporter en bon musulman et de « respecter les droits de l’humanité » (1860 !) quand les généraux français massacraient les « barbares » avec un enthousiasme révoltant.

 

Nous avons également évoqué le roman Les Fils du Jour, (Éditions Vents d’ailleurs, 2014) dans lequel la figure d’Abd El Kader est également présente. Il s’agit d’une saga familiale, fresque historique extrêmement vivante courant des années 1840 aux dernières années du XIXe siècle. Une narration cinématographique, des personnages très attachants, des figures féminines fortes et emblématiques, une base historique parfaitement fouillée, voici quelques uns des éléments qui font la réussite de ce roman dont la fraternité, l’appartenance, la transmission, la tolérance, sont les piliers.

 

Le précédent roman de Yahia : Une longue nuit d’absence, (Éditions Vents d’ailleurs, 2012) nous entraîne en Espagne, puis à Oran en compagnie d’un républicain espagnol exilé.

Avant cela, c’était : Si tu cherches la pluie, elle vient d’en haut, (Éditions Vents d’ailleurs, 2010) qui explore l’Algérie des années noires de la guerre civile.

Le premier roman de Yahia : Un bus dans la ville, (Éditions Vents d’ailleurs, 2008) nous propose un parcours dans les dédales d’une ville-mémoire, qui nous emporte cahin-caha entre souvenirs lumineux et mortifères, où l’abjection côtoie la beauté en permanence.

 

D’autre part, sachez que parmi les nombreux projets de Yahia, figure en bonne place la revue Apulée. Revue annuelle dont l’opus 1 est paru en 2016 et dont le numéro 2 intitulé « De l’imaginaire et des pouvoirs » sortira en mars 2017 aux éditions Zulma.

 

La soirée n’a pas été entièrement consacrée aux écrits de notre invité, et il a eu l’occasion d’évoquer le sens de son engagement, de nous donner son point de vue sur l’Islam dans les pays du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient, de répondre à nos interrogations et de débattre avec nous sur la place de l’Islam dans la France contemporaine. Il nous a assuré que des solutions ne pourraient venir que de France et d’Europe. Il a évoqué l’Islam tolérant que pratiquaient ses parents et dont il regrette de ne plus retrouver trace aujourd’hui. Il nous a parlé également de la guerre d’Algérie, si terriblement meurtrière, dont tous les protagonistes sont ressortis perdants et dont les conséquences continuent de hanter l’histoire contemporaine. Il nous a confié le plaisir qu’il a de rencontrer des lycéens dans les nombreux pays qui l’invitent pour animer des ateliers d’écriture et leur faire découvrir la vie et l’enseignement d’Abd El-Kader.

 

Il est difficile, vous vous en doutez, de rendre vraiment compte, et justice, de la richesse des échanges qui nous ont nourris ce jeudi 12 janvier. Cette parole de fraternité, de tolérance, d’ouverture à l’autre, qui est celle de l’Emir Abd El-Kader, Yahia Belaskri sait nous la transmettre avec toute la puissance d’un humanisme profondément vécu. Et nous lui en sommes très reconnaissants.

 

 

Biographie succincte

 

Yahia Belaskri est né à Oran (Algérie) en 1952.

Études de sociologie.

Travaille dans le domaine des ressources humaines dans différentes entreprises en Algérie.

Après les émeutes du 5 octobre 1988, il choisit de s’installer en France.

Longtemps journaliste à Radio France International.

Nouvelliste, essayiste, romancier.

 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Yahia_Belaskri

 

 

 

 

 

Prochain grignotage littéraire le jeudi 9 février, au Nord-Sud, Quai de Courcy, à Binic

pour une rencontre consacrée aux formes courtes en littérature en compagnie de Jean-François Sterell, auteur de Fragments & autres esquisses (éditions MLD, 2007).

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