Compte rendu du grignotage littéraire des Escales de Binic

 du jeudi 8 juin 2017

                          Invité : Serge Joncour

 

 

 

 

 

 

En résonnance avec le précédent grignotage (lectures initiatiques faites durant l’enfance) au cours duquel une participante avait fait remarquer qu’il pouvait arriver que l’on ralentisse sa lecture pour prolonger le plaisir de la fréquentation de tel personnage et de telle histoire, je demandais à Serge Joncour si pour lui en tant qu’auteur il pouvait en être de même. S’il était difficile de quitter ses personnages en fin d’écriture.

Oui, bien sûr, a-t-il répondu. Pour lui l’écriture d’un roman se déroule sur environ deux ans, au cours desquels c’est une quasi-obsession dans la mesure où il y pense constamment. Après le choix du prénom des personnages (très important), il y a la mise en place des décors, un conditionnement qui se fait petit à petit, avec la précision également de la personnalité des protagonistes. L’imaginaire va se mettre en place et les personnages prendre une sorte d’autonomie, ça se décide un peu tout seul comme dans les rêves. Il arrive de se relire et de s’étonner. Durant ces deux années de travail, on peut se sentir envahi, noyé dans le foisonnement de l’imaginaire, et puis après avoir réussi à cerner les personnages et tout savoir d’eux, eh bien c’est terminé et le roman s’arrête. Et le romancier passe à une tout autre histoire, ce qui peut être relativement violent. Il s’agit de trouver la bonne distance.

Il arrive que les lecteurs confrontent l’auteur en questionnant ses choix sur la fin d’un roman, ou sur tel événement décrit : les lecteurs s’approprient l’histoire et les personnages et peuvent parfois regretter que l’auteur ait fait des choix différents des leurs.

A plusieurs reprises Serge Joncour a travaillé pour le cinéma, et plusieurs de ses romans font actuellement l’objet d’une réécriture pour devenir un scénario. Par lui-même ou par d’autres. C’est une expérience intéressante, dans la mesure où la solitude du romancier est confrontée au travail d’équipe qui caractérise le cinéma.

Là,  c’est le réalisateur qui décide si telle scène va être possible à filmer, dans le budget, dans les possibilités techniques, ou pas. Alors que le romancier jouit d’une immense liberté, avec pour seule limite l’étendue de son imaginaire.

Serge Joncour considère son métier comme un artisanat et le compare volontiers à la pratique de l’ébénisterie. Avec l’expérience, il souhaite travailler le roman de façon de plus en plus ample.

Il insiste sur le travail du décor dans un roman, comment rendre compte d’un décor en début de chapitre, faire naitre des images chez le lecteur qui seront les mêmes que chez l’auteur.

Son inspiration nait de son immense qualité d’attention. Chaque être est une histoire, il suffit d’écouter. Chaque lieu est un décor, il suffit de regarder. Et c’est ce qui frappe chez Serge Joncour dès la première rencontre, cette attention extrême portée à ce qui l’entoure, cette impression qu’il est à l’affut et qu’il se nourrit de son environnement.

Serge Joncour explique qu’il a la chance d’avoir un bon éditeur, patient et à l’écoute, et qu’il peut lui arriver de lui conseiller quelques coupes, quelques précisions à apporter, quelques changements ponctuels. Il apprécie cette relation.

Il admire et est influencé par « l’école Simenon », très intéressé par les personnages, les décors, les ambiances.

Sa famille vient d’un milieu rural, et il évoque un « changement de logiciel » interne lorsqu’il change de lieu.

Dans son dernier roman : Repose-toi sur moi, il a voulu mettre en scène la campagne au cœur de Paris. Il évoque l’aspect très simple du roman, mais qui se révèle très complexe à transposer au cinéma. Car il s’agit de mettre en scène des détails, des impressions, une sensibilité, des caractéristiques des personnages, et ce sera beaucoup plus subtil et complexe à rendre à l’image qu’une scène de tornade à coup de gros effets spéciaux.

Écrire un roman, dit-il, c’est deux ans et une vie.

Il ne suit pas de plan préétabli pour construire le roman. Comme dans la vie. S’en remet au hasard, laisse aller ses personnages dans le temps, dans l’année qui s’avance. Par exemple, dans Repose-toi sur moi, les fêtes de fin d’année jouent un rôle important dans le déroulement de la fin du roman, et c’est ce qui a guidé son écriture : comment ses personnages se laissent happer par ces fêtes (ou pas). Le temps se déroule comme dans la vraie vie et imprime un rythme à l’histoire et à sa course vers une résolution.

Serge Joncour est reconnaissant à la littérature pour être une mémoire de la réalité des émotions et des sensations : en lisant Giono, ou Colette par exemple, on peut retrouver les renseignements et informations sur des moments précis de notre histoire, entendre le tocsin sonner en 1914 pour la mobilisation générale, savoir le temps qu’il faisait à tel endroit et se trouver dans la peau des jeunes gens qui entendaient cet appel…

De grands acteurs sont capables de retransmettre à l’écran la finesse des émotions : Serge Joncour évoque son admiration pour le jeu de Vincent Lindon et de Gérard Depardieu. Leur talent pour se mettre dans la peau de.

Question : Quels auteurs admirez-vous ?

Romain Gary (Chien blanc) Comment fait-on pour parvenir à une telle maîtrise, dans ce mélange subtil de la vraie vie et du travail d’écrivain.

Céline, pour l’aboutissement virtuose.

Bernard Clavel : se servir des décors pour exprimer la vie.

Maupassant, Barbey d’Aurevilly : de l’inquiétant au fantastique.

Simenon, pour la justesse de l’observation des personnages, pour l’immersion dans les décors.

Chabrol : au même titre qu’un romancier, un cinéaste, pour son travail sur les détails.

Hitchcock : là aussi, la virtuosité.

Les cinéastes influencent autant que les romanciers.

Mention spéciale pour Sur la route de Madison, l’un des films favoris de Serge Joncour.

Serge Joncour a aussi évoqué la violence que représente la sortie d’un roman, après les deux ans d’écriture, de travail solitaire. Le roman se retrouve mêlé à une grande quantité d’autres parutions, soumis aux critiques, présenté dans des salons, commenté, et ce n’est pas toujours chose confortable.

L’œuvre de Serge Joncour est traduite dans de nombreuses langues. Cela passe principalement par les éditeurs. Il peut arriver que le traducteur souhaite rencontrer l’auteur, mais ce n’est pas systématique. Il s’agit de faire confiance, et d’accepter, un peu comme au cinéma, que les choses échappent à l’auteur.

Question : Comment ça démarre, l’écriture d’un roman ?

On mixe plusieurs ingrédients, un décor, des personnages, des métiers, une réaction chimique se fait et  … ça marche. (ça paraît tellement simple !)

Une question importante se pose souvent pour le romancier, c’est la question du JE ou du IL. Jusqu’à la publication, la création est souple. Les chapitres peuvent être inter changés,  les personnages évoluer jusqu’à la fin. La limite, c’est la publication.

Serge Joncour s’est prêté au jeu des questions avec beaucoup de chaleur et d’intérêt. Cette rencontre résulte d’une promesse qu’il avait faite à Robert Blondel de venir nous retrouver dans un cadre autre que celui du festival de littératures vagabondes des Escales de Binic auquel il était invité cette année mais auquel il lui avait été impossible de se rendre. Nous lui en sommes très reconnaissants : pour cette promesse tenue, et pour la générosité qui sous-tend ce genre d’exercice.

Les Grignotages littéraires des Escales de Binic reprendront au mois de septembre.

La saison 2017/2018 est en cours d’élaboration, vous serez informés dès que possible. Je vous souhaite un très bel été et vous donne rendez-vous en septembre.

Bien amicalement,

                                                              Corinne Dirmeikis

 

 

 

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