Le Vacanciel, Hôtel de la Plage, Binic

Invités : Isabelle Lagny et Salah Al Hamdani

 

Un cadre agréable et accueillant, un buffet somptueux, des participants enthousiastes, des invités chaleureux et visiblement ravis d’être là : tous les ingrédients se trouvaient réunis pour la réussite de cette soirée.

 

Présentation

 

Pour débuter, une présentation formelle d’Isabelle Lagny, puis de Salah Al Hamdani.

 

Isabelle Lagny, poète, écrivain et photographe est née en 1961 à Paris. Elle a étudié la médecine, les neurosciences, la philosophie des sciences mais également la musique, le chant et le théâtre. Un temps chercheur en biologie, elle exerce aujourd’hui le métier de médecin du travail. Elle est également la collaboratrice littéraire de Salah Al Hamdani depuis 1996 pour la traduction d’arabe en français de ses nouvelles, récits, romans et poèmes.

 

Salah Al Hamdani, poète, écrivain et homme de théâtre français d’origine irakienne, est né en 1951 à Bagdad. Ancien opposant à la dictature du parti Baath, il commence à écrire des poèmes en prison politique en Irak vers l’âge de 20 ans. Puis il choisit la France pour terre d’asile en 1975 après avoir découvert Albert Camus traduit en arabe dans les cafés de Bagdad. C’est à Paris qu’il devient auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages (roman, poésies, nouvelles et récits) dont plusieurs sont traduits de l’arabe avec Isabelle Lagny.

 

J’ai demandé à chacun de lire un de leur poème en guise de présentation poétique.

 

Isabelle :

 

Peau d’ours sur la neige

 

Je viens d’un rivage qui n’existe pas

Ne voyez-vous pas ces ruptures

ces trous d’air dans ma quête ?

 

Je viens d’une contrée qui n’existe pas

Je la traîne derrière moi

comme la peau d’un ours sur la neige

 

Je viens d’un pays qui se décompose

jour après jour

dans une forêt de signes

 

Je hume le vent

je m’y repose

j’étreins ma mère

dont le visage impassible

fixe l’horizon

 

Autrefois

à ma naissance

je ne pensais qu’à elle

de loin

comme à un paysage violet

un éventail à la main (…)

 

 (extrait de Le Sillon des jours, éditions Le Temps des cerises, 2014)

 

Salah :

 

Identité

 

Je ne suis ni bagdadien ni poète

ni l’ombre d’un figuier

mais d’une divergence

une bribe de souffle sur la ville peut-être

une conversation ininterrompue

 

Prédateur du hasard

je surveille le rien, les inexactitudes

je pourchasse l’énigme du rêve

je compose ma peine avec l’éphémère, l’anecdote

mes jours se défont souvent dans la quiétude du crépuscule

mais je t’aime

et j’apprends très vite comme dans les ténèbres

 

(extrait de Rebâtir les jours, éditions Bruno Doucey, 2013)

 

La traduction

 

Concernant le travail de traduction qu’Isabelle a pu faire pour certains des textes de Salah écrits en arabe, je m’étonnais du fait qu’Isabelle précise qu’elle ne parle pas cette langue, et souhaitais en savoir plus sur les méthodes de travail que cette donnée implique. Salah et Isabelle nous ont alors expliqué avoir utilisé « la méthode dite de la piscine » : ou « tu ne sais pas nager ? Tu te jettes à l’eau ! » Il s’agit d’expérience de traduction non professionnelle, partant d’un premier jet de traduction orale s’enrichissant de mimes et périphrases, ne s’embarrassant pas de dictionnaire ni d’académisme mais fabriquant en avançant. Où il importe de laisser l’autre dans son propre imaginaire. Où il est question de complicité. Techniques expérimentales élaborées dans la nécessité, alors que Salah cherchait à faire traduire sa poésie. Petit à petit, son champ lexical français s’étant étendu, cette étape n’est plus de mise : je rappelle que Salah est l’auteur d’une quarantaine de recueils écrits directement en français.

 

Premier contact avec la poésie

 

Salah :

Issu d’une famille très modeste, quasiment illettré alors qu’il était jeune soldat dans l’armée de Saddam Hussein, Salah connaît la prison pour avoir « trahi » en sauvant des enfants kurdes. A son compagnon de cellule, qui récite inlassablement des vers, Salah demande de quoi il s’agit : de poésie. S’ensuivront des explications, une formidable ouverture, et des leçons de vie.

Première leçon : oui, tout le monde peut écrire de la poésie.

Deuxième leçon, alors que le compagnon déchire et jette les premiers essais de Salah : l’usage de l’écriture implique une responsabilité car les mots peuvent blesser, les mots tuent.

Sorti de prison, Salah découvre tous les écrits de Camus, en version arabe, dans les cafés de Bagdad. Et choisit la France lorsqu’il est contraint de fuir le pays.

« Si Bagdad m’a fait naître, la France m’a fait homme. »

 

Isabelle :

Également issue de milieu modeste, née à Paris, c’est par l’école que la découverte de la poésie se fera pour Isabelle qui se délecte des poèmes de La Fontaine et de la rythmique alexandrine de Victor Hugo.

 

Admirations

 

Salah lit de la poésie chaque jour avec une grande curiosité, il aime découvrir de nouvelles voix, échanger et tisser des liens amicaux avec les poètes contemporains.

Son admiration le porte, entre autres, vers Arthur Rimbaud, René Char, Bernard Noël, Al Marout …

 

Isabelle porte une grande admiration à la poésie de Salah dont elle aime les images puissantes. Baudelaire pour l’âpreté de son écriture, ses contrastes, sa dureté et sa sensualité. Homère pour l’Odyssée, texte compagnon de toujours.

Jacques Ancet et Christian Bobin, dont les textes lui sont un fort déclencheur du désir d’écrire.

Pour Isabelle, vivre en poésie passe par une sorte d’esprit de famille, de fraternité entre poètes. On s’intéresse les uns aux autres, on aime les textes des autres, on achète les livres des autres. La poésie est une respiration, comble un besoin de beauté, de fraternité, d’art, de liberté.

La photographie qu’Isabelle pratique depuis longtemps n’est pas étrangère à cette définition. Elle l’aime depuis l’enfance. Et lance des ponts entre écriture et photographie en collaborant de façon régulière avec d’autres poètes et d’autres photographes : écrire sur les photos des autres, offrir des photos à un autre poète.

 

Contrejour amoureux

 

Paru chez Le Nouvel Athanor en 2016, ce recueil à deux voix fait l’objet de nombreuses lectures publiques et nous avons eu la chance d’en entendre deux larges extraits.

Ce livre est le recueil d’une série de « provocations », dans le sens où Isabelle a lancé un jour, par jeu poétique, une amorce de dialogue écrit vers son compagnon. « Réponds-moi en poésie. » Après quelques réticences, Salah a fini par accepter d’entrer dans un monde qui n’était pas le sien. Le jeu a duré deux ans et les écrits soigneusement consignés par Isabelle ont eu pour aboutissement cet instantané, expérience existentielle, exploration amoureuse et sentimentale. Le texte fut enrichi de textes écrits individuellement pour compléter la spontanéité du dialogue.

 

Notes éparses et fragmentaires

 

Il y aurait énormément de choses à rajouter à ce compte rendu car beaucoup de questions ont été posées et les échanges riches et nombreux.

 

Salah a raconté son arrivée en France au terme d’un voyage de sept jours, avec dans sa poche une adresse : ce seul épisode constituerait le chapitre d’un roman autobiographique qu’il écrira sans doute un jour.

 

Pour Salah, le poète s’approprie le monde, le tout. De là, ses visions poétiques.

 

Sur la langue : l’arabe est langue d’exil, d’amour, de sagesse. Mais pas de révolte. La langue française possède une culture de révolte.

 

Voila. Sachant ce compte rendu élaboré à partir de notes fragmentaires, et de souvenir ébloui, je souhaite conclure avec ces mots d’Isabelle :

« L’art le plus abouti est celui qui construit, nous dépasse, donne envie de vivre, aide l’autre à se relever."

 

 

 

Prochain rendez-vous le jeudi 11 mai à 19 h 30 au Neptune :

 

Carte blanche à Régis Gardien, professeur de philosophie.

« Premiers frissons de lecture :

souvenir d’une lecture d’enfance au pouvoir initiatique »

 

 

A très bientôt. Bien amicalement,

 

Corinne Dirmeikis

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